LE TRANSPORT DE CONTENEURS PAR VOIE D’EAU EN EUROPE, APPROCHE STATISTIQUE

Par Jean-Marc DEPLAIX, jm.deplaix@online.fr

 

Dans le numéro du 30 juillet 1992 de la Revue " Navigation, Ports et Industries ", on avait ébauché un graphique de l’évolution du transport de conteneurs par voie d’eau en Europe, où l’on voyait que sa croissance prenait une allure explosive.

Depuis, la mise à disposition de nouvelles sources plus précises avait laissé penser qu’il n’était plus utile de mettre à jour cette série. Cependant, les données publiées restaient fragmentaires et non consolidées. De ce fait, le grand public ne pouvait pas avoir conscience du rôle éminent joué par le fluvial dans le transport de conteneurs dans son ensemble.

Il manquait pour cela de disposer d’une vision consolidée de l’évolution en cours. C’est ce que l’on tentera dans ces lignes.

EVOLUTION DU TRANSPORT FLUVIAL DE CONTENEURS EN EUROPE

I. TRANSPORT DE CONTENEURS SUR LE RHIN ALLEMAND

L’une des grandeurs les plus intéressantes est le passage à la frontière germano-néerlandaise (Emmerich-Lobith).

On dispose de deux séries, d’une part une estimation en EVP, disponible depuis 1994, d’autre part une estimation en tonnes (transports de produits manufacturés) sur l’ensemble du bassin rhénan, disponible depuis 1987 ; elles ne se recouvrent pas totalement, mais évoluent dans le même sens.

On observe dans la plus longue de ces séries (source Commission Centrale pour la Navigation du Rhin, CCNR) une relative stagnation des tonnages de 1987 à 1992, suivie d’une forte croissance depuis. Si l’on transforme ces tonnages en EVP, avec un coefficient de 11,5t par EVP, comme observé en 1996, on constate avant 1993 des volumes d’EVP sensiblement plus élevés que ceux indiqués par les ports allemands. La raison de cette discordance n’est pas connue, et peut-être due à un changement de définition statistique. On ne retiendra donc les données antérieures à 1992 qu’à titre d’information.

Dans la seconde série, exprimée elle en EVP, on note une pause dans la croissance entre 1994 et 1995, suivie d’une croissance soutenue pour arriver aujourd’hui à 900.000 EVP à ce point de comptage.

Il y a une autre grandeur disponible, celle du passage à la frontière franco-allemande, également fournie par la CCNR, qui constitue un sous-ensemble des valeurs précédentes. On ne possède cependant pas de séries très longues sur cet élément.

Enfin, depuis 1994, le Statistisches Bundesamt fournit le trafic national allemand, le trafic international et celui en transit. En 1998, le chiffre global devrait être voisin de 1.000.000 EVP. Cette valeur inclut des trafics qui ne touchent pas le Rhin, pour un montant d’un peu moins de 100.000 EVP en 1998.

Cette série est très semblable à celle fournie par le BÖB, l’Association des Ports publics allemands, laquelle exclut les trafics des terminaux privés, dont deux au moins sont régulièrement desservis au départ de Rotterdam et d’Anvers. On retiendra donc en première approximation le chiffre global des ports publics allemands comme représentatif du trafic rhénan, car il présente l’avantage de fournir une plus longue série chronologique. Cette approximation est confortée par les chiffres de 1996, pour lesquels on dispose des détails respectifs des deux séries. En y ajoutant Bâle et les ports français du Rhin, on obtient la série " Trafic Rhénan Nouveau ".

II. TRANSPORT DE CONTENEURS DANS LES BOUCHES DU RHIN

L’un des éléments les plus intéressants de l’évolution du transport de conteneurs en Europe a été le développement spectaculaire du transport de conteneurs dans les Bouches du Rhin, qu’il s’agisse de transport intérieur néerlandais ou de trafics échangés avec la Belgique et le Nord de la France.

Le transport intérieur néerlandais s’est développé contre toute attente, malgré la faible distance de transport, et le trafic d’échange entre Anvers et Rotterdam est devenu presque égal au trafic du Rhin.

Des statistiques précises existent, mais elles sont trop agrégées (EVP fluviales transbordées au port de Rotterdam, qui ont plus que triplé de 87 à 96). On devra donc faire des approximations.

On a ainsi reconstitué une série montrant la part du trafic d’Anvers échangé avec Rotterdam, d’une part, et qui échappe à la statistique rhénane, ainsi que d’autre part l’élément rhénan du trafic d’Anvers, qui ne doit pas être compté deux fois.

TRAFIC DE CONTENEURS par VOIE FLUVIALE à ANVERS, en EVP

Année

Trafic

ANVERS-

ROTTERDAM

Trafic

ANVERS-

RHIN

Trafic ANVERS-

Belgique & Nord Pas de Calais

TOTAL des CONTENEURS FLUVIAUX à

ANVERS

1979

2 000

3 000

0

5 000

1980

8 000

10 000

0

18 000

1981

25 000

20 000

0

45 000

1982

38 000

30 000

0

68 000

1983

50 000

40 000

0

90 000

1984

70 000

50 000

0

120 000

1985

88 500

52 000

0

140 500

1986

120 000

54 000

1 000

175 000

1987

125 000

58 000

2 000

185 000

1988

170 000

59 000

10 000

239 000

1989

195 000

73 000

12 000

280 000

1990

190 000

88 000

15 000

293 000

1991

265 000

108 000

20 000

393 000

1992

309 000

128 000

20 000

457 000

1993

400 000

180 000

20 000

600 000

1994

434 000

190 000

20 000

644 000

1995

454 000

200 000

20 000

674 000

1996

550 000

250 000

20 000

820 000

1997

709 000

255 000

47 000

1 011 000

1998

842 000

300 000

60 000

1 202 000

Source : Port d’Anvers, Port de Rotterdam et estimations de l’auteur

On se rend compte de la fulgurante croissance de ce trafic en observant le graphique correspondant.

On peut en déduire notamment que les rôles respectifs d’Anvers et de Rotterdam en tant que ports de passage de marchandises conteneurisés mériteraient d’être réévalués en fonction du trafic d’échange que l’on observe entre ces deux ports : Anvers draine les conteneurs de son hinterland terrestre, tandis que Rotterdam les expédie outremer. L’existence du " FOB Anvers " semble devoir expliquer ce phénomène. Les deux ports en tirent un mutuel bénéfice, l’un pour son activité commerciale, l’autre pour ses statistiques maritimes. L’effet " hub " en perd une partie de ses effets négatifs sur les ports " secondaires ".

Le transport intérieur néerlandais a également connu une croissance rapide, bien que son chiffre soit encore peu important en valeur absolue. Le nombre de terminaux a fort augmenté, le plus ancien, Emmerich, ayant été rejoint par une demie-douzaine d’autres sites. Un petit nombre de valeurs sont connues, les autres sont interpolées.

Enfin, il faut noter les trafics à destination de la Belgique et du Nord-Pas de Calais, tant au départ de Rotterdam que d’Anvers. On les estimera d’un montant équivalent pour l’un et l’autre port, sauf dans les années récentes. Ils ont pour O/D les terminaux de Meerhout, sur le Canal Albert, Liège sur la Meuse, Avelgem sur l’Escaut belge, Prouvy sur l’Escaut français et Lille sur la Deule.

On arrive donc a la récapitulation suivante dans les Bouches du Rhin :

Année

Trafic Anvers-Rotterdam

Trafic Interne aux Pays Bas

Belgique+Nord-Pas de Calais

TOTAL BOUCHES DU RHIN

1980

8 000

8 000

1981

25 000

25 000

1982

38 000

38 000

1983

50 000

50 000

1984

70 000

70 000

1985

88 500

5 000

93 500

1986

120 000

10 000

2 000

132 000

1987

125 000

20 000

4 000

149 000

1988

170 000

30 000

15 000

215 000

1989

195 000

55 000

19 000

269 000

1990

190 000

60 000

23 000

273 000

1991

265 000

60 000

25 000

350 000

1992

309 000

65 000

30 000

404 000

1993

400 000

70 000

32 500

502 500

1994

434 000

95 000

35 000

564 000

1995

454 000

120 000

40 000

614 000

1996

550 000

140 000

45 000

735 000

1997

711 000

170 000

74 000

955 000

1998

842 000

195 000

85 000

1 122 000

Sources diverses et estimations de l’auteur; pour 1993 et 1996, Brolsma, Bulletin de l’AIPCN, juin 1997

III. ALLEMAGNE NON RHENANE

Les chiffres pour cette zone sont beaucoup moins connus ; ils incluent le bassin de la Weser, celui de l’Elbe et celui du Danube, à l’exclusion des trafics transitant par les ports des bouches du Rhin.

On les estimera, sur la base des chiffres 1996 à 12% du trafic rhénan.

IV. FRANCE NON-RHENANE

Le trafic sur le Rhône est ancien, mais n’a jamais dépassé 10.000 EVP. Il a par ailleurs été interrompu à plusieurs reprises. On ne le rappellera qu’à partir de la réouverture de la ligne Deltabox, en 1994.

Sur la Seine, on peut considérer que le trafic n’a commencé qu’avec Logiseine, même si des tentatives avaient eu lieu dès les années 80.

La série de la France non rattachée au monde rhénan se présente donc comme suit :

Année

Seine

Rhône

Total

1994

500

1200

1700

1995

5811

4311

10122

1996

11433

6300

17733

1997

16598

4725

21323

1998

14927

6514

21441

DANUBE

Le trafic du Danube non allemand représente plusieurs dizaines de milliers d’EVP. On ne dispose pas encore d’une série fiable. On cite 100.000 EVP en 1990 et 160.000 EVP en 1993. Faute d’indications précises, on ne l’inclura pas dans le tableau récapitulatif.

 

RECAPITULATIF DU TRAFIC OUEST-EUROPEEN DE CONTENEURS

Année

TOTAL TRAFIC RHENAN

TOTAL BOUCHES DU RHIN

TRAFIC FRANÇAIS NON-RHENAN

TRAFIC ALLEMAND NON-RHENAN

GRAND TOTAL OUEST- EUROPEEN

1980

90 000

8 000

98 000

1981

106 000

25 000

131 000

1982

148 000

38 000

186 000

1983

180 000

50 000

230 000

1984

230 000

70 000

300 000

1985

276 969

93 500

370 469

1986

311 146

132 000

5 000

448 146

1987

327 766

149 000

12 000

488 766

1988

383 641

215 000

30 000

628 641

1989

372 275

269 000

44 673

685 948

1990

446 296

273 000

53 556

772 852

1991

498 227

350 000

59 787

908 014

1992

458 057

404 000

54 967

917 024

1993

546 431

502 500

65 572

1 114 503

1994

607 748

564 000

1 700

72 930

1 246 378

1995

795 454

614 000

10 122

95 454

1 515 030

1996

936 588

735 000

17 733

112 391

1 801 712

1997

1 024 403

955 000

21 323

122 928

2 123 654

1998

1 115 698

1 122 000

21 441

133 884

2 393 023

On voit donc que dès 1997, le trafic fluvial de conteneurs a dépassé la marque des 2 millions, en quasi totalité des conteneurs maritimes. On est donc loin d’un phénomène anecdotique.

La courbe correspondante est peut-être encore plus parlante : Quand on connaît le marasme de l’économie européenne dans les années 90, qui peut encore douter de la capacité de la navigation fluviale à s’adapter aux aspects les plus novateurs de l’économie moderne ?

Le trafic correspondant en tonnes-kilomètres est moins facilement accessible.

On connaît la distance moyenne de transport sur le Rhin, et on peut l’estimer pour les autres flux :

Le trafic français non rhénan fait 300km en moyenne.

Le trafic allemand non rhénan fait sans doute 250km.

Le trafic des Bouches du Rhin fait 155km.

Enfin, en 1998, le parcours moyen d’une tonne de groupage sur le Rhin était de 535km.

On atteint ainsi 810 millions d’EVP.km, correspondant à plus de 9 milliards de t.km. Il y a donc sur les voies d’eau européennes presque deux fois plus de t.km réalisées par des produits manufacturés qu’il n’en est réalisé par les trafics de vrac sur le territoire français.

L’identification Voie d’Eau = vrac est donc une fois de plus battue en brèche.

Si la Commission Centrale du Rhin, par modestie, suggère dans son rapport statistique annuel 1998 que le transport de marchandises diverses, dont l’essentiel est représenté par le transport de conteneurs, ne représente que 5% du marché de la navigation rhénane en tonnage, ce chiffre passe déjà à 8% en tonnes-kilomètres sur le " Rhin Traditionnel ". Et si l’on y ajoute le trafic rhénan sur les voies d’eau néerlandaises, cette part devient beaucoup plus importante : Par exemple, sur la liaison Escaut Rhin, dont le trafic est d’environ 40Mt en 1998, le transport de conteneurs représente jusqu’au tiers du trafic en tonnes ! 1,2 millions d’EVP pourrait en effet correspondre à quelque 14Mt !

Ainsi, sur les 300Mt du trafic rhénan, bouches du Rhin incluses, le tonnage de conteneurs a atteint 23Mt au moins en 1998, soit près de 8%. Le chiffre en t.km n’est pas disponible, mais sa part devrait être supérieure à 10%.

Et l’avenir s’annonce encore meilleur :

A supposer que le trafic fluvial des autres marchandises stagne, la part des conteneurs dans le trafic fluvial, à l’horizon 2020, triplerait, d’après l’un des scénarios préparés par le port de Rotterdam.

Si l’on adoptait les ratios actuels, ce seraient alors près de 7 millions de conteneurs, près de 80Mt de produits manufacturés, qui seraient transportés sur les voies d’eau ouest européennes ! Peut-on encore parler de phénomène sans intérêt ?

Le trafic 1998 estimé par nos soins correspond d’ailleurs au trafic 2010 du scénario bas préparé par le Port de Rotterdam il y a quelques années ! Il y a donc une certaine probabilité que le chiffre de l’hypothèse haute soit même dépassé.

Par ailleurs, bien que les sources soient difficiles à réconcilier, il semble avéré que le trafic ferroviaire de conteneurs maritimes en Europe continentale, qui est voisin de 2 millions d’EVP, soit inférieur à celui du transport fluvial de ce même type de conteneurs. Voilà une autre preuve que la solution fluviale a la faveur des chargeurs. Reste à le faire savoir au public. Puisse cet article y contribuer.

 

 

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